jeudi 30 septembre 2010

Les saints lieux sont-ils vraiment les bons ?

Autant régler le problème tout de suite.
Quand on arrive en Terre sainte, la question arrive dès les premiers rayons du (chaud) soleil. Est-ce vraiment ici ? Est-ce bien là que ça s'est passé ? Suis-je sur le lieu authentique?
au Saint-Sépulcre
Le Saint-Sépulcre, à Jérusalem, est-il  bien construit sur le mont Golgotha ? A priori, c'est oui.
Jésus a-t-il été enfermé dans ce cachot  comme on nous  le dit ?
Ce puits, est-ce vraiment celui d'Abraham ?
Le corps du Christ  a-t-il été  déposé sur cette dalle rectangulaire, la pierre de l'onction, qui  ne fait vraiment pas son  âge ?

Première option : on ne doute pas. On traverse l'église sur  les genoux et les yeux humides. On vide ses  poches sur la pierre pour bénir tout ce qu'on transporte avec soi. Pas de doute. Je ne sais plus où j'ai entendu ça, mais je partage : "La foi, c'est le doute".

Ces lieux sont saints parce c'est ici  que ça s'est passé. Les  pierres. La fontaine.  La poussière. Dans un élan de mysticisme, chacun  va récolter un peu de cette terre dans un sac ou une bouteille, au risque d'avoir de gros ennuis à la sécurité de l'aéroport. Cette dévotion, cette extase, cela m'a toujours mis mal à l'aise.

Le  corps du Christ  a-t-il été  déposé sur cette dalle rectangulaire, objet de dévotions au  Saint-Sépulcre  ?
En  fait,  la  Jérusalem que l'on visite n'a rien à  voir  avec celle de Jésus. Les  minarets et  clochers qui  se  confondent de loin et semblent s'observer n'étaient  pas  là. Les églises que l'on visite n'ont souvent même pas  un siècle (à Gethsemani par exemple). Et parfois, cela sent  la reconstitution à plein  nez.D'entrée, le prêtre qui nous accompagne fait la leçon :
 "Nous  sommes sur les lieux  où l'ont  fait  mémoire".   
C'est comme  ça,  il nous faut  un lieu, un édifice, une pierre, une tombe pour faire mémoire. C'est simple. Ne  pas aller chercher  plus  loin : le lieu est saint parce que c'est ici que les pèlerins ont choisi de faire mémoire. Et pas parce que l'on va poser ses pieds dans ceux du fils de Marie et Joseph.


"Ces  lieux  saints  ne  vous font  rien.  
Le  mensonge est partout trop évident"  
Flaubert, 1850

Cité par  Régis Debray  dans son  excellent  livre,  Un  Candide  en  Terre sainte,  voici  ce  qu'en  disait Flaubert,  en 1850,  dans  une  lettre  à  sa maman  (Pour  la citation,  je  te fais  confiance, hein Régis).

"Les saints  lieux?  Impression  nulle. C e  qu'on  voit ici  de  turpitudes , de  bassesses,  de  simonie,  de choses  ignobles en tout genre dépasse la mesure  ordinaire.  Ces  lieux  saints  ne  vous font  rien.  Le  mensonge est partout trop évident. Quant au côté artistique,  les  églises  de  Bretagne sont  des  musées  raphaélesques  à  côté"
Chrétiens palestiniens en voyage scolaire au lac de  Tibériade

lundi 20 septembre 2010

Dans le désert du Néguev

Premier jour en  Israël. Premier jour  dans  le désert du  Néguev.  Il  représente 62 % de la  surface  du  pays  mais  seulement 10% des  habitants. Pas difficile de comprendre à la vue du sable, de la terre, des  pierres,  des cratères, des pics rocheux qui évitent la monotonie au voyageur. Des bédouins sont tout de même là, poussés vers les villes par l'Etat d'Israël depuis le années 1950.. Et des villes ont été créées (Arad,  Dimona).
On commence par le  début  de l'histoire : la Genèse. " Au  commencement,  Dieu créa  le  Ciel et la Terre". La lecture se fait dans le cratère du  Makhtesh Ramon.  Un paysage lunaire mais pas  uniforme. De  la terre ocre, des pierres rouges, noires, mauves. Quelques petits  filets d'eau  aussi, encadrés par des brins d'herbe.




Le désert n'est pas totalement désert. Des villes ont  poussé et les Israéliens ont mis en place un  impressionnant réseau d'irrigation. On apprend que c'est ici qu'a été inventé le système du goutte-à-goutte (en 1959).
La descente vers le Makhtesh Ramon



"Le désert n'est pas 
si désertique
que ça"








Le premier jour, c'est également la découverte du rythme du  pèlerinage. Ce n'est pas un voyage comme les autres. La portion touristique est réduite. Les temps de recueillement, collectifs ou solitaires, sont nombreux. J'avoue que, n'étant vraiment pas un  fana de la messe, j'étais un peu effrayé par tous ces offices et temps de prière.
Prière matinale face au désert, au  pied de l'hôtel. Évocation de la Genèse dans un cratère digne du Grand Canyon. Puis messe, dans les ruines de l'église byzantine d'une ancienne cité nabaténne, à Avdat.
Ici, dans ces lieux chargés de symbole, c'est autre chose.
 "Le désert, nous dit la Bible, est le lieu de la rencontre avec le Seigneur, le lieu où Dieu parle", nous dit  le père Michel Daubannes .
On imagine un espace vide, avec des dunes, quelques dromadaires. Rien à  voir.
"Nous rencontrons un  désert avec la vie: de l'eau presque partout, de l'électricité dans les villages, de  la végétation, même des insectes sous les pierres du Maktesh Ramon. Bref, le désert n'est pas si désertique que ça. Il n'exclut pas toute vie.  Dans la Bible, c'est le lieu de la Parole. Tout sauf le lieu de la mort! "
Première célébration dans le désert : Dieu ne m'a pas encore parlé directement  mais ça viendra peut-être. Il reste encore neuf jours.
Dans les ruines de  l'église d'Avdat


jeudi 16 septembre 2010

14 mai : jour de joie, jour de peine

Premier jour, première gaffe.
La  première nuit a été courte. Nous sommes arrivés très tard à notre hôtel d'Arad, une ville champignon sans charme qui a poussé dans le désert du Néguev. L'hôtel est  à l'image de la ville : un grand rectangle de béton. Depuis la  petite lucarne de la chambre, on voit flotter un drapeau à  l'étoile de David. Derrière, dans la brume de  chaleur, des montagnes pelées.
Il  faut profiter du matin,  il fait encore frais. Dans la journée, on devrait  avoir du 35°, même en mai. Dans la  rue, c'est le grand calme. Il y a des drapeaux d'Israël partout. Sur le bloc de maisons d'en face, les mêmes drapeaux. Les bâtiments sont entourés de barbelés. Ce n'est guère rassurant.

"Pour  les Palestiniens,  c'est un  jour de deuil"

Notre guide est jeune, moins de trente ans sans doute. Il a l'air sympathique. Casquette de baseball,  barbichette noire, look d'étudiant. Alors j'ai envie de  tenter  une approche. "C'est jour de fête, aujourd'hui, non ?" Il  me regarde sobrement. Et répond en professionnel : "C'est la fête de  l'indépendance d'Israël".
J'ai compris ma gaffe. Notre guide est palestinien. Il  rajoute, plantant un poignard  au coeur de mon  ignorance : "Pour les Palestiniens, c'est un jour de deuil"
Colombe à Bethléem
Sur  le  mur  de  séparation,  à  Bethléem
Quel  crétin ! En lisant les guides dans l'avion, je n'avais pas relevé la date : normal,  il n'y a rien de  spécial à dire sur le mercredi 29 avril 2009. Sauf que, selon le calendrier juif, nous sommes le 14 mai (Yom haÂtsma'out en hébreux). C'est le 14 mai 1948 que David Ben Gourion a proclamé l'indépendance d'Eretz Israël, le pays d'Israël. Une renaissance pour le peuple juif.
Une catastrophe pour les Palestiniens ; ils ont donné  le nom de Nakba à cette  journée. Un pays mais deux  peuples et deux visions de  l'histoire. Il  faudra s'y habituer ; si on n'a pas compris ça, on ne peut rien piger sur ce pays.
Le 14 mai, c'est tout simplement l'un des symboles du conflit israélo-palestinien.

Tous les ans, des manifestations ont lieu et les Territoires occupés sont bouclés. C'est pour cela que le guide  prévu au départ n'est pas là ; il habite un village proche de Bethléem et n'a pu passer le mur de séparation,  même avec son permis de travail. Son jeune remplaçant habite à Jérusalem, du bon côté du  mur. Lui peut circuler plus librement.
Je viens de recevoir ma première leçon de géopolitique locale.

A suivre : dans le désert du  Néguev.


mardi 7 septembre 2010

"Vous pouvez bien attendre un peu"

Aéroport Ben Gourion. Tel Aviv. On descend une grande allée en marbre. Pour déboucher sur une longue file d’attente. Au bout, des jeunes femmes en uniforme bleu attendent nos passeports dans leur petite cabine.  À chacun son tour. Ca ne rigole pas.  Elles vérifient sur leur écran d'ordinateur  notre identité,  jettent un  regard direct et froid  sur chaque  visage.  Ca prend  du temps. Il  est  tard  et  tout  le monde  est  impatient  de respirer l'air de cette terre, berceau des trois religions monothéistes.

La  soixantaine,  chapeau  et  costume noir, derrière sa belle  barbe blanche mon voisin  de  file d'attente  a  le sourire de  celui  qui rentre à la  maison  retrouver  les  siens.  Il s’amuse de l’impatience des pèlerins français, ce groupe fatigué et impatient d’en découdre avec la terre d’Israël. 

"Vous pouvez bien attendre un peu.  
Nous, on a attendu deux mille ans avant de revenir"

 “Vous pouvez bien attendre un peu, lance-t-il. Nous, on a attendu deux mille ans avant de revenir”.
Ce n'est pas qu'une boutade.

Terre sainte, Israël, Palestine, Cisjordanie, Territoires occupés, etc


Quelques heures plus tôt, nous avons rejoint notre groupe, à Roissy. Eux arrivent de Normandie, diocèse d’Evreux. Nous du Berry. Faire ce voyage avec des inconnus, ça me va très bien.
Sac à dos, guides touristiques, foulard jaune du pèlerin, chacun sa Bible. L’envol vers Tel Aviv se fait dans une zone réservée.
Dans l’avion, on a tout le temps de s’imaginer ce qui nous attend. Complexe. Depuis que ce voyage est décidé, je ne sais trop dire où je vais : Terre sainte, Israël, Palestine, Territoires occupés, Territoires palestiniens, Cisjordanie. Embarqué avec un groupe de catholiques – dont deux prêtres, une sœur et un diacre - à la rencontre des chrétiens, je vais assurément en Terre sainte. Mais quand je parle de ce voyage, je rajoute toujours Israël, comme si cette Terre sainte ne reflétait pas toute la réalité de ce voyage. (Carte)

Si je pars rencontrer des chrétiens et visiter des lieux saints, je pars aussi dans un pays en guerre Avec l’envie de voir, écouter et tenter de comprendre. Et une phrase en tête, entendue dans la bouche d’un habitué de ce voyage : “À chaque fois que je reviens, je trouve la situation encore plus complexe”. En fait, je pars d'abord pour voir et essayer de me faire ma propre opinion.

Quelques mois avant, Gaza était sous la mitraille


Nous sommes en mai 2009. En décembre 2008, Gaza était sous la mitraille. Les réservations pour le voyage se sont arrêtées avec l’opération israélienne contre ce petit bout de terre palestinien aux mains du Hamas, coincé entre la mer et Israël. Ceux qui sont dans l’avion ne sont pourtant pas des aventuriers. Une sœur qui fait là le voyage de sa vie, offert par ses condisciples. Un couple “pittoresque” de Normands, qui regrettent déjà leur petit-déj' au camembert et qui auront du mal à suivre le rythme. Une jeune femme qui a pour projet de se faire baptiser l’année suivante dans le Jourdain ; elle est en repérages. Deux frangines, des couples, des femmes seules. Des croyants mais aussi des mal-croyants (je me classe plutôt dans la seconde catégorie). Et nous, couple de trentenaire, attirés à la fois par l'idée de découvrir les lieux de la Bible en vrai et l'envie de mieux comprendre ce qui se joue ici. Observateur, avec un maximum de recul sur ce que je vais voir. 
Et puis, Jérusalem cela ne se refuse pas.



C’est à mon tour. Derrière sa vitre, une très jeune femme dont on voit à peine le visage. J’imagine qu’elle fait son service militaire ici. Le motif de mon séjour ? Tourisme. Mon anglais ne va guère plus loin. Elle regarde les passeports assez longuement, tape sur son clavier, scrute son écran. Et finit par poser le tampon bleu de l’État d’Israël sur le papier.

Avant d’en arriver là, Daniel (le chef du groupe) avait conseillé de faire poser le tampon sur une feuille volante, pour éviter les problèmes futurs lors d’un hypothétique voyage en terre arabe (Jordanie, Syrie…). Nous avons préféré faire tamponner notre passeport.
Une sorte de marque de courtoisie pour le pays qui nous accueille.

A suivre : Premier jour, première gaffe